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Profession

Publié le  Lecture 23 mins

La relation entre étudiant sage-femme et sage-femme : réciprocité et confrontation des regards

Joséphine Miloche, Lyon

Mémoire de sage-femme 2020 – Étude qualitative au sein d’hôpitaux lyonnais

Toute rencontre entre un étudiant et une sage-femme est singulière. Ces 2 personnes se rencontrent dans un service clos, le temps d’une garde, le plus souvent de manière aléatoire. Cette relation à but pédagogique (compagnonnage, tutorat, supervision) est complexe et multidimensionnelle. Elle dépend de l’activité du service, de l’investissement des deux côtés, et du type de communication et de pédagogie instaurées.

D’un côté, les étudiants sages-femmes expriment un vécu difficile en stage, particulièrement lié aux relations avec les professionnels. De leur côté, les sages-femmes de terrain doivent allier qualité et sécurité des soins tout en transmettant les savoirs, les valeurs et les normes de la profession.

Alors que le métier de sage-femme est dit relationnel, mobilisant empathie, accompagnement et bienveillance, comment expliquer des relations entre étudiants et sages-femmes aussi compliquées ? Quelle est la place de l’empathie au sein de la relation ? Quels sont les vécus propres chez l’un et les vécus supposés chez l’autre ? Pour quelles conséquences ?

Le métier de sage-femme a toujours été transmis par les pairs, d’abord par des transmissions empiriques, ensuite grâce à l’émergence d’outils et de mannequins (Mme DeCoudray en 1757, Mme La Chapelle fin xvııı e siècle), puis l’institutionnalisation des écoles de sages-femmes a permis de cadrer et réguler la profession. Aujourd’hui en service hospitalier, plusieurs difficultés à superviser les étudiants se superposent : manque de temps, surnombre d’étudiants, difficultés à faire confiance à un inconnu et à déléguer des actes, manque de lien direct avec l’établissement de formation, etc. Le devoir déontologique des sages-femmes pour la pérennisation du métier devient alors une obligation et un poids. Pour les étudiants, il existe de forts sentiments de déconsidération, un manque d’attention et du stress allant parfois jusqu’à la maltraitance (61 % des étudiants sages-femmes ressentent de la maltraitance en stage [ANESF, 2018]). Cela expose les étudiants à des conséquences physiques et psychologiques comme la diminution de la confiance en soi ou l’appréhension à aller en stage, pouvant provoquer des difficultés de progression des compétences. La relation pédagogique se définit par la relation qui s’établit entre une personne donnant le savoir et une personne recevant le savoir, mais pas seulement. Elle constitue l’ensemble des rapports sociaux entre un formateur et un formé ayant pour but d’atteindre des objectifs pédagogiques : « C’est ce que le formateur va instaurer comme type de relation avec le formé qui va instaurer ou non la fonction pédagogique de celle-ci » (Desplebin, 2000). La relation pédagogique est imprégnée de valeurs comme l’adaptation à l’autre, la générosité, l’ouverture, la disponibilité, l’honnêteté, la continuité, la tolérance, la capacité à faire confiance, à reconnaître ses erreurs (Marsollier, 2011). La relation entre un étudiant et une sage-femme est la base de l’apprentissage, c’est à travers cette relation que les compétences ainsi que l’essence de la profession se transmettent. Alors que les enjeux sont psychologiques, sociologiques et cognitifs, peu d’études se consacrent objectivement aux moyens mobilisés en milieu hospitalier, aux tenants politiques, et à l’engagement financier généré par l’encadrement des étudiants. Après une revue de la littérature sur ce sujet, 4 facteurs clés de la relation définis entre étudiants en stage hospitaliers et les sages-femmes ont été distingués : l’environnement comprenant le système de l’hôpital, les locaux, la politique d’encadrement des étudiants, etc. ; la communication qui concerne autant le verbal, le non verbal et le paraverbal ; la pédagogie et les outils utilisés pour ce faire, mettant en lien l’apprentissage et la transmission ; l’affect personnel interrogeant les types de personnalités, la fatigue, la motivation, l’état d’esprit du moment, les problèmes de la vie quotidienne qui peuvent influencer la relation. Dans un contexte de rapide évolution de la formation (système LMD, intégration universitaire, et plus récemment le Pass santé) et de la profession (élargissement des compétences, Ségur de la santé, fermeture des petites maternités), ce mémoire questionne les différences et les similitudes de perceptions des facteurs et des besoins au sein de la relation ESF-SF. Méthodologie L’objectif principal de ce mémoire est double : analyser les facteurs environnementaux, pédagogiques, relationnels et individuels au sein de la relation SF et ESF en stage tout en confrontant les deux points de vue de la relation. Les objectifs secondaires sont : identifier les besoins propres aux ESF et aux SF pour l’établissement d’une relation de qualité ; comprendre l’investissement des professionnels dans la formation de leurs pairs ; comprendre l’importance de la posture de l’étudiant dans sa formation ; étudier la perception de la qualité de cette relation par les deux parties ; définir, du point de vue des professionnels, les situations de bienveillance et les situations néfastes à la bonne transmission de leur profession ; définir, du point de vue des étudiants, les situations de bienveillance et les situations néfastes au bon apprentissage de leur formation. Pour cela, 12 entretiens semi-directifs ont été menés auprès de sages-femmes et d’étudiants sages-femmes. Les 3 types de niveaux de maternité ainsi que les promotions FGSMa2-FASMa1-FASMa2 (L3, M1, M2) sont représentés. Les établissements hospitaliers interrogés ont été mis en relation avec le lieu de stage. Une analyse papier-crayon ainsi que des analyses verticales et horizontales ont été effectuées. Réalisée par une étudiante sage-femme, cette étude est traversée par un biais de subjectivité et un biais d’interprétation, surtout en ce qui concerne le vécu des sages-femmes, puisque ce sont des situations non connues. La neutralité est donc délicate, mais l’analyse par un regard d’étudiante est aussi une force, puisque cela porte la parole de problèmes vécus par les étudiants, en regard de ses difficultés et des conséquences sur l’apprentissage de la profession. Le nombre de participants étudiants évoquant ces phénomènes objective les résultats. Principaux résultats Les quatre facteurs détaillés précédemment influencent parfois positivement, parfois négativement la relation ESF-SF. Au niveau environnemental, les contraintes du service sont communes aux ESF et SF, le manque de temps, les services surchargés, les impératifs de l’institution sont identifiés des deux côtés de la relation. Les contextes d’urgence, notamment en salle de naissance, ou l’ambiance des équipes sont des difficultés des étudiants pas toujours identifiés par les professionnels. « Dans l’urgence, on a l’impression d’être plus un poids qu’autre chose » ESF4 « Je ne vois pas où ma 5 e année pourrait se mettre sur son ordinateur pour travailler sur ses patientes, parce qu’on a que trois postes de travail, des petits bureaux, et qu’il n’y a pas de place pour l’accueillir » SF3 « Dans les tout petits niveaux, les sages-femmes en général étaient plus posées, elles prenaient plus le temps » ESF6 « L’urgence qu’impose souvent la salle fait que c’est plus compliqué d’encadrer » SF2 Pour ce qui est de la communication, la confiance et le savoir-vivre (dire bonjour et se présenter) sont essentiels des 2 côtés pour la relation. À propos de la communication non verbale, il y a une réelle asymétrie, les ESF y sont très sensibles : sur ce qu’ils renvoient eux-mêmes et de la part de la SF. Alors que la grande majorité des SF ne s’interrogent pas forcément sur ce qu’elles dégagent envers l’ESF. « Un petit débriefing, avec le rapport de stage, et puis, bien entendu, au moment du soin » SF6 « Il faut que je prenne un maximum maintenant des retours qu’on peut me faire » ESF5 « J’ai besoin qu’on me dise un peu tout au long de la journée ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire. Parce que ça varie énormément d’une sage-femme à une autre » ESF3 « C’est hyper agréable quand on est intégré à l’équipe et qu’on nous pose des questions […], mais ce n’est jamais moi qui le ferais parce que je trouve que ce n’est pas mon rôle » ESF5 « Je ne sais pas si j’ai un langage non verbal avec les étudiants, je ne pense pas lever les yeux au ciel quand ils me soûlent » SF3 « La manière dont elle te regarde, dont elle te demande des choses, tu sens si elle… En fait, même des manières de demander les choses, tu sens si elle a confiance en toi, ou en ce que tu fais. Et du coup, ça en découle sur comment tu te comportes » ESF4 « C’est compliqué pour moi si une étudiante a l’air de s’ennuyer, ça, je le vis très mal, ça m’exaspère » SF1 « Je vouvoie toujours au premier abord » ESF5 « Je n’arrive pas à les vouvoyer » SF3 Du côté de la pédagogie, les SF ressentent l’encadrement comme une obligation, leurs stratégies de transmission sont variables souvent en fonction de la motivation démontrée par l’ESF, et elles paraissent en difficulté pour analyser la pédagogie qu’elle instaure. L’ESF, pour bien apprendre, demande un suivi dans le temps et une vision globale du parcours de soins de la patiente pour comprendre pourquoi il fait les choses et garder la visée pédagogique des actes qu’ils réalisent. Aucune SF ne parle de bienveillance alors que c’est une attente considérable que révèlent les ESF. « Parfois, elles attendent des trucs de toi, et toi, tu penses qu’elles attendent un autre truc » ESF4 « Ce qui me fait avoir une mauvaise relation, c’est la désinvolture de l’étudiant » SF5 « J’essaye de rester à la place d’étudiante, entre guillemets. Je ne sais pas si cette place est un peu mythique de l’étudiant qui est là pour apprendre et qui doit se taire » ESF2 « Il faut montrer qu’on a envie d’apprendre, qu’on est motivé, et il faut aussi qu’on montre qu’on sait faire des choses » ESF6 « On a tendance à faire en disant : “Fais-moi ci, fais-moi ça” » SF5 Enfin, au niveau personnel, les ESF et les SF démontrent de l’adaptation l’un envers l’autre, par exemple une personnalité réservée, timide nécessite peut-être plus d’attention pour qu’elle se sente bien en stage. Les problèmes de la vie personnelle et la fatigue du moment impactent la relation des deux côtés. Les ESF paraissent se remettre davantage en question que les SF, et se questionnent beaucoup sur leur posture. Par rapport à la motivation des SF à encadrer, ceux-ci disent aussi que : « Ce n’est pas si fréquent de sentir que quelqu’un est vraiment content de te transmettre ! » « Le fait d’être considéré en tant qu’étudiant, que tu ne sois pas juste là, la personne juste à côté où on te demande de faire tous les trucs que les gens n’ont pas envie de faire » ESF3 « On se sent vite jugée sur notre manière personnelle, et il ne faut pas que ça nous plombe aussi, sinon, c’est dur, ça nous enfonce » ESF3 « Si je mets quelqu’un en question, ce n’est jamais humainement cette personne que je mets en question, c’est son travail » SF1 « On n’est pas toujours à l’écoute, on est quand

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