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Périnatalité et psychiatrie : vécu de la maternité et articulation des temporalités dans les parcours de soins
Laura BOURGAULT, Nantes

Comment s’adapter au rythme particulier des suivis psychiatriques en périnatalité ? Quelle prise en charge est dédiée aux femmes, aux nouveau-nés et aux couples dans les situations d’addiction ? Comment structurer au mieux la coordination entre les professionnels de la périnatalité et de la pédopsychiatrie ? Réponses à l’occasion du 53ème Congrès de la Société Française de Médecine Périnatale (SFMP), organisé à Nancy du 16 au 18 octobre 2024.
D’après les communications du Pr Sylvie VIAUX-SAVELON, pédopsychiatre, Lyon – Dr Romain DUGRAVIER, pédopsychiatre, Paris - Dr Sarah SANANES, psychiatre, Strasbourg - Pr Fabienne LIGIER, psychiatre, Nancy - Pauline SOURLIER, psychiatre, Nancy - Dr Rose-Marie TOUBIN, pédopsychiatre, Montpellier Quand la psychiatrie s’invite dans la maternité, « les équipes des services périnataux tissent des liens particuliers avec les parents, encore davantage dans les situations d’addictions, auprès de femmes qui n’en arrivent pas là par hasard et présentent souvent des troubles de l’attachement, souligne le Pr Sylvie Viaux-Savelon, pédopsychiatre à Lyon. Les mamans ont en effet besoin d’un soutien particulier, solide, avec une certaine souplesse dans le cadre et c’est ce qui est le plus difficile pour les soignants ». Des horaires, des protocoles à respecter dans la routine, « mis en difficulté par les personnes qui sont en situation de dépendance », confirme le Pr Fabienne Ligier, chef de service de la psychiatrie périnatale sur la Meurthe-et-Moselle. Au sein de ce suivi complexe et délicat, les priorités des soignants sont de répondre aux besoins de contenance dont ont besoin les nourrissons à la naissance, et d’évaluer les compétences parentales afin d’adapter le suivi dans une unité mère-enfant et de réfléchir au projet d’accueil de la famille. Lien mère-enfant et coordination des suivis : différentes temporalités à l’œuvre D’un point de vue théorique sur le sujet des rythmes mère-enfant / parent-enfant, « nous allons parler de diachronie, en référence à toutes les évolutions mobilisées par la mère et le bébé, dans la dynamique complexe de cette relation qui se tisse en post-partum ». Dans la pratique, cette diachronie se traduit par un important décalage de temporalité entre les soins psychiatriques de la mère et les soins du bébé. « Les équipes sont très vite prises dans ces difficultés à s’adapter aux rythmes de l’autre, poursuit le Pr Ligier. Ce temps est particulier, les parents peuvent le dire, avec des temps mêlés car nous nous adaptons au rythme de l’autre avec des besoins parfois antagonistes. Il est difficile de toujours penser aux bébés quand l’état de santé des femmes prend toute la place. » En tant que soignant, « le fait de devoir être dans le moment présent en permanence demande par ailleurs une énorme capacité d’adaptation et de constance ». D’autant que la mère va éprouver « des émotions intenses sur le plan psychique, un bouleversement que l’arrivée d’un enfant peut engendrer ». Ainsi faut-il penser « à axer le plus d’attention envers le bébé, à entretenir des temps qualitatifs entre la mère et l’enfant, à aller vers une relation la plus harmonieuse possible, à évaluer le temps dont les parents ont besoin pour prendre en compte les besoins de l’enfant ». Une approche d’autant plus cruciale qu’à la naissance, des changements sont également vécus par la mère « sur le plan corporel, identitaire avec l’intégration d’un nouveau rôle de parent également, prolonge le Dr Pauline Sourlier, psychiatre à Nancy, « le risque de réactivation de son héritage familial, vis-à-vis de sa propre mère notamment, et la réorganisation de la vie dans le couple : une expérience dite de crise maturative caractérisée par un sentiment de perte ou de déséquilibre avec une homéostasie déjà précaire dans le cadre de la dépendance ». Avant la naissance, la grossesse elle aussi a pu « entraîner des remaniements psychiques liés à la toxicomanie ». « Une ambivalence survient souvent dans le rôle maternel entre le désir d’être une bonne mère et la peur de ne pas y arriver », Dr Pauline Sourlier, psychiatre à Nancy « Toutes ces étapes s’inscrivent dans des rythmes variables, lents pour les professionnels et beaucoup trop rapides pour les patientes, avec un risque de réémergence des problématiques qui avaient pu mener à la consommation de ces substances, poursuit le Dr Pauline Sourlier. La pression sociale va également engendrer une rechute fréquente du côté de l’addiction, en lien avec la culpabilité de ne pas pouvoir stopper sa consommation de produits, associée à une anxiété, un sentiment de honte ». Dans le même temps, la mère « prend conscience de la responsabilité, de ses fonctions maternelles, avec tout ce qui relève du stress et des exigences de la parentalité. Une ambivalence survient souvent dans le rôle maternel entre le désir d’être une bonne mère et la peur de ne pas y arriver, marquée par la minimisation voire le déni des risques liés à l’addiction pendant la grossesse et en post-partum ». Ces éléments sont notamment décrits dans des contextes où « la grossesse est poursuivie pour maintenir le lien avec le conjoint sans réel désir d’enfant, avec une peur de perdre le papa qui peut rajouter un déni partiel de grossesse dans le cadre de toxicomanies, associées à une rupture de soins ». Une rupture de soins pour autant loin d’être systématique. « La grossesse peut aussi être un moment où les femmes entrent dans le soin, pondère à ce sujet le Pr Ligier. Elles espèrent que l’enfant va venir réparer l’attachement, le lien, venir combler un vide, lui permettre de se départir de la dépendance aux produits. La grossesse permet de rêver de beaucoup de choses, elles y croient, elles espèrent. Pendant les 9 mois, à travers des soins somatiques, les femmes peuvent ainsi bénéficier de soins psychiques ». Puis en post-partum, « le suivi peut se poursuivre avec la PMI, la sage-femme, le médecin de famille, le pédiatre ». Profil borderline et autonomie relative des mères Ces parcours de soins sont également marqués par « une dissociation des addictologues qui ne sont pas toujours des psychiatres ». Ainsi, « les addictologues sont satisfaits d’avoir stabilisé les patientes concernant leur(s) addiction(s), sans forcément investiguer la problématique de la perte d’autonomie de la femme ou du couple en tant que parent(s) », témoigne le Pr Viaux-Savelon. Et quel profil ont globalement les mamans traversant ces épreuves ? « Elles sont le plus souvent borderline, avec une capacité à certains moments d’être tout à fait en lien avec leur enfant, avec une très bonne qualité de lien mais qui ne perdure pas sur la continuité. Nous, professionnels de la périnatalité, allons-nous intéresser au bébé et de la façon dont il vit cette discontinuité de la famille : des situations complexes dans ces accompagnements sollicitant notamment le savoir-faire des puéricultrices en post-natal », décrit le Pr Viaux-Savelon. L’attention est portée « sur ce que l’enfant peut supporter dans cette discontinuité, sur la question de la mise en danger, du signalement, sur la question de la solidité et la contenance des dispositifs extérieurs vers lesquels les femmes ne sont pas encore suffisamment adressées dans la pratique ». « Avec la naissance et la parentalité, l’autonomie relative de la femme et donc la capacité à demander de l’aide va être modifiée », Dr Romain DUGRAVIER, pédopsychiatre à Paris U ne donnée importante va entrer en ligne de compte dans le déroulé de ce suivi : celle de « l’indépendance et de l’autonomie relative », définit le Dr Romain Dugravier, pédopsychiatre à Paris, responsable d’un service de psychiatrie périnatale. Qu’est-ce à dire ? « Les patientes souffrant d’addiction se sont en effet souvent construites dans une indépendance qui reste très marquée pendant la grossesse. Ces femmes pensent qu’elles ont suffisamment de solidité interne et n’osent pas s’appuyer sur l’autre. Demander de l’aide dans le soin alors qu’elles sont enceintes leur est donc difficile. Avec la naissance et la parentalité, l’autonomie relative de la femme et donc la capacité à demander de l’aide va être modifiée.» C’est à ce moment précis que les équipes de la périnatalité, de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie cherchent à s’organiser au mieux pour épauler la triade mère-enfant-couple, « afin d’articuler l’accompagnement dans ce travail de concert lorsque bébé n’attend pas ». Vers un repérage des addictions le plus précoce possible L’enjeu est fort alors que la psychiatrie et l’addictologie croisent malheureusement fréquemment le chemin de la maternité et de la parentalité, associée à une errance thérapeutique notoire. « Aujourd’hui en Europe, 40% des patients schizophrènes ne bénéficient d’aucun suivi et 92% des situations de dépendance à l’alcool ne sont pas prises en charge », étaye à ce propos le Dr Romain Dugravier. Ces chiffres, recueillis en population générale, laissent supposer le nombre de femmes et de couples souffrant de maladies psychiatriques et/ou d’addictions, isolés à un moment de leur vie dans l’épreuve de la grossesse et de la parentalité. La question du repérage des troubles addictifs se pose alors. « Dans ma pratique clinique, les patientes sont connues pour leur pathologie psychiatrique, elles n’entrent pas dans les parcours de psychiatrie périnatale par le biais de leur addiction. Le diagnostic de leur dépendance est posé dans un second temps, lorsque nous découvrons la consommation de toxiques ». Des diagnostics « qualifiés d’incidents en psychiatrie périnatale ». Pour intervenir le plus précocement possible, les addictions, notamment celles associées à des comorbidités psychiatriques, doivent donc pouvoir être mieux repérées et prises en charge auprès des femmes et couples en âge de procréer. Articulation du suivi Sur le terrain, la coordination du suivi des duos mères-enfants, des couples et des familles n’est pas toujours évidente à instaurer. Quels sont les dispositifs mis en place aujourd’hui ? « Là où je travaille, nous proposons des consultations, les soins d’une équipe mobile, un hôpital de jour et une consultation d’expertise dédiée aux futurs parents exposés à une fragilité psychiatrique », étaye le Dr Dugravier. « Nous travaillons avec la psychiatrie de liaison sur la maternité de Nancy et une équipe de psychiatrie périnatale sur la région, ajoute le Pr Fabienne Ligier. Et nous avons ouvert l’unité ACCORD’AGE comprenant l’hospitalisation de
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