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Profession

Publié le  Lecture 27 mins

Le plafond de verre de la recherche pour les femmes : le cas de la maïeutique

Claudine SCHALCK, Marie-Christine LEYMARIE, Christine MORIN
Le plafond de verre de la recherche pour les femmes : le cas de la maïeutique

De nombreuses sages-femmes ont l’envie ou le projet de s’engager dans la voie de la recherche. Mais les postes sont rares, et le système ne laisse pas suffisamment de place à la levée des genres, stigmate d’un habitus qui peine à évoluer. Le sujet plus global est celui de la levée des discriminations faites aux (sages)-femmes dans le milieu de la recherche. Les trois autrices plaident aujourd’hui en faveur de la reconnaissance de la maïeutique dans le parcours universitaire en tant que discipline bien à part.

Certains éléments de cet article ont servi comme base de réflexion pour le symposium « From Midwifery to Maïeutique : Lost in Translation” lors du 32 ème Congrès Triennal de la Confédération Internationale des Sages-femmes (1). Ce symposium avait pour objectif d’éclairer le sens et l'impact de la traduction de "midwifery" en "maïeutique". Le changement linguistique de la terminologie a été analysé en comparant les traductions anglaises/françaises dans la Série du Lancet qui avait publié un numéro spécial intitulé « Midwifery », traduit en français par « Maïeutique », en 2014. Pour atteindre cet objectif, ont été analysées, les résultats d'une enquête réalisée en 2015 auprès de treize associations de sages-femmes francophones, ainsi que les données issues de la littérature française en se référant à cinq pays francophones de trois continents : L'Amérique du Nord (Québec), l'Europe (France, Suisse, Belgique) et l'Afrique (Cameroun). Introduction En France, la volonté d’intégrer à l’université les professions paramédicales, et de finaliser cette intégration pour les sages-femmes, avait suscité bien des espoirs pour la valorisation et la reconnaissance de l’activité de ces professions grâce à la recherche. De fait, en France, les sages-femmes, les infirmier·e·s, les professionnel·le·s de la réadaptation, dont les kinésithérapeutes et les orthophonistes, n’avaient pas la possibilité d’y accéder pour leur spécificité professionnelle. Les uns ne pouvant pas poursuivre leur cursus à l’université malgré un diplôme reconnu grade licence, les autres sans pouvoir aller au-delà, malgré un diplôme déjà universitaire, reconnu grade master, comme c’est le cas pour les sages-femmes. Ce processus de transformation, initié en 2017 à la demande des tutelles, est arrivé à son terme, en 2020, par sa concrétisation, avec « l’universitarisation » de ces professions. Elle a conduit à la constitution de 3 nouvelles sections au Conseil national des universités et d’un « vivier d’enseignants-chercheurs » (Le Bouler, 2018, p.41) issus de la filière paramédicale et maïeutique. Mais pour les sages-femmes, avec 97,4 % (1) ( https://www.eventvirtual.eu/cmVirtualPortal/_CzechIn/ICMVIR/) de femmes dans la profession, malheureusement, force est de constater que l’accès à la recherche n’est qu’une illustration exemplaire de ces freins invisibles qui empêchent toujours la progression sociale des femmes, puisqu’elle se heurte une fois de plus à un véritable plafond de verre. Le contexte de l’universitarisation Après deux années de concertations entre acteurs du public et du privé, le rapport de Stéphane Le Bouler avait tracé la feuille de route de cette petite révolution avec la « Mission Universitarisation des formations paramédicales et de maïeutique (2)». Il avait été remis, en ce sens, au ministère des Solidarités et de la Santé ainsi qu’au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Les bénéfices d’un tel changement avaient été soulignés, car la France s’était vue privée des avancées de la recherche dans ces différents champs de compétences professionnels, notamment en maïeutique (Demeester, Ducrot-Sanchez, 2007). Au prix d’un retard certain face aux voisins européens et à l’international, où la recherche, en ce domaine, est bien développée au niveau universitaire depuis longtemps. D’après ce rapport, la recherche, dans ces pays, aura surtout profité à l’amélioration de la pratique des soignant·e·s et à l’investissement pédagogique (Le Bouler, 2018, p.16). À l’inverse, en France, et en maïeutique tout particulièrement, elle reste insignifiante (Goyet et al., 2018), alors qu’elle bénéficie d’une aura internationale ailleurs, sous le nom de « research in midwifery ». De ce fait, pour toutes ces professions concernées, l’action publique attendue, avec l’universitarisation, porterait sur une « meilleure couverture des besoins de santé de la population » et le développement « de nouveaux champs de compétences pour consolider les pratiques professionnelles et les conditions de formation » (Le Bouler, 2018, p.11). C'est-à-dire que « la mobilisation de nouvelles compétences en recherche consiste avant tout à revendiquer l’expertise professionnelle dans la formation et les pratiques de soins » (Le Bouler, 2018, p.6), en particulier grâce à un équilibre entre savoirs « académiques » et « professionnels ». L’avenir des enseignantes-e-s en maïeutique : une feuille de route rassurante Le rapport « Le Bouler » avait dressé avec précision les bénéfices et les obstacles de cette transformation, se félicitant d’avoir réussi à calmer les « nombreuses craintes, quant aux conséquences d’un tel mouvement à l’université », c'est-à-dire « celles du corps enseignant » (Le Bouler, 2018, p.10). Le plan d’action proposé, avec ses recommandations, en tenait compte, notamment pour l’avenir à l’université des enseignant·e·s en maïeutique, des femmes presque exclusivement. En effet, sans être docteur·e, la formation initiale des futures sages-femmes, en particulier à l’exercice clinique et à la démarche scientifique, se fait sous leur responsabilité. La direction du travail de mémoire de fin d’études des étudiant·e·s sages-femmes, véritable initiation à la recherche, leur incombe le plus souvent, tandis que la formation confère un grade master en cinquième année avec un titre universitaire. Au-delà de cette initiation à la recherche, bon nombre d’enseignant·e·s accompagnent, voire s’associent également à leurs étudiant·e·s, lorsqu’il s’agit de mener à bien la publication issue d’un travail relatif à un mémoire de master, substantiel pour la recherche (Demeester, Ducrot-Sanchez, 2007). D’une certaine manière, dans cette activité, il est déjà question d’enseignement et de recherche. C'est pourquoi le rapport « Le Bouler » se voulait particulièrement rassurant, quant au processus des qualifications, puisque « le recrutement des enseignants chercheurs sous des statuts diversifiés est la pierre angulaire de cet effort en matière de recherche » (Le Bouler, 2018, p.16). Une promotion pour une profession particulièrement féminine Du côté des sages-femmes, l’universitarisation a été saluée unanimement par l’ensemble de la profession comme une grande avancée. Il est vrai qu’elle portait la promesse d’une reconnaissance et d’une assise identitaire sans cesse malmenée, où la profession sage-femme supporte et subit la condition féminine, avec toutes ses injustices. Trop féminine, identifiée en ce sens à l’intimité des femmes, entre sexualité et maternité, compétente pour être auprès des femmes dans toutes leurs ressources physiologiques et leur santé, plutôt que pour la pathologie, réservée aux médecins, cette profession porte les stigmates d’une société qui reste profondément inégalitaire vis-à-vis des femmes. Car, même si les femmes sont égales en droits aux hommes, il est établi que les règles culturelles intériorisées laissent la part belle à la « domination masculine » largement entretenue par une « violence symbolique », une « violence douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes, qui s’exerce pour l’essentiel par les voies de la communication et de la connaissance » (Bourdieu, 1998, p.12). Soit, avec la force de l’habitus (3) , au moyen d’une socialisation qui conditionne l’agir, la pensée et les désirs de l’individu, sans même qu’il s’en rende compte, telle une « seconde nature » qui façonne la personnalité de l’individu (Elias, 1987). Ce concept, central chez Pierre Bourdieu, est, d’après lui, un puissant mécanisme social qui reproduit, confirme et renforce les inégalités (Bourdieu, 1972). Pour autant, cette « valence différentielle des sexes » (Héritier, 1991), du masculin toujours supérieur au féminin, est considérée genrée en ce qu’elle vient valoriser toutes les qualités considérées socialement comme masculines, au-delà du sexe, au détriment des qualités considérées comme féminines (Oakley, 1972). Même les discours sur la parité, qui en soi n’est pas l’égalité, peuvent s’y méprendre, dans la mesure où ils se font l’instrument d’une disqualification des femmes, lorsqu’une fonction leur est proposée juste parce qu’il faut une femme. Les faits sont notoires et documentés par nombre de recherches : une profession trop féminine intéresse peu les hommes d’autant plus qu’elle est toujours mal rémunérée. S’il y a lieu, dans ce cas, les hommes investissent les places de pouvoir et les fonctions hiérarchiquement supérieures. Partout, en France, plus on s’élève dans la hiérarchie et le pouvoir, plus les femmes disparaissent ou sont marginalisées, sous l’effet de l’inévitable plafond de verre. Un bon exemple en est la féminisation de la profession des médecins, longtemps exclusivement des hommes, sans que, pour autant, les rôles sociaux des hommes et des femmes ne soient vraiment bousculés ou reconfigurés. Les hommes médecins refluent vers les postes les plus valorisés en prestige ou en pouvoir, soit à l’université et dans la recherche (Hardy-Dubernet, 2005). Chez les 28 932 sages-femmes en activité en 2017, en France, seulement 758, soit 2,6 %, sont des hommes (4), malgré l’ouverture à la profession en 1982. Là aussi, les hommes sages-femmes vont vers des expertises complémentaires plus techniques et valorisées, comme l’échographie, par exemple, et vers des fonctions hiérarchiques de management ou de responsabilité (Charrier, 2007). Profession sage-femme : les stigmates genrés de la féminité La profession sage-femme dans son ensemble, quant à elle, porte de nombreux stigmates genrés, passés ou actuels, tant elle est identifiée concrètement et symboliquement au sort fait à la condition féminine. Profession médicale dans le code de la santé publique (5) en France, comme les médecins et les chirurgiens-dentistes, elle reste mal payée. À peine plus qu’un·e infirmièr·e, dont le salaire, en 2019, est lui-même 22 e sur 31 dans les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (6). Profession médicale, elle est néanmoins toujours

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