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Psychologie

Publié le  Lecture 13 mins

Le déni de grossesse

I. NISAND, CHU de Strasbourg, Strasbourg

Connu depuis l’Antiquité (Hippocrate parlait des grossesses inconscientes), le déni de grossesse est une pathologie fréquente (1/500 naissances), potentiellement dangereuse pour l’enfant et pour sa mère et fort mal connue des professionnels. Peu d’enseignements dans les facultés de médecine, peu de publications(1), aucun cours disponible, comme s’il y avait un véritable déni du déni. De nombreux pays ignorent jusqu’à l’appellation de cette pathologie psychique, alors même que la fréquence du « néonaticide » est sensiblement identique partout. Bien heureusement, seule une toute petite minorité des dénis se termine ainsi par du fait divers.

Dans la très grande majorité des dénis, la grossesse est découverte — souvent de manière totalement incidente — avant l’accouchement. Se pose alors la question de la prise en charge de ces patientes qui déstabilisent tellement les professionnels que ceux-ci n’ont pas toujours les réactions appropriées. C’est ainsi qu’une même cause psychique persistante, puisque non détectée et non soignée, peut entraîner des accidents à répétition. La prévention par les médecins et les sages-femmes est donc essentielle pour les prévenir. Le déni de grossesse se définit comme une grossesse évoluant à l’insu À l’insu veut dire que la femme ne se sait pas enceinte. Cette définition exclut d’emblée les genèse et le contexte psychique sont radicalement différents. Si la grossesse cachée est rare (et entre dans un contexte social ou familial difficile), le déni de grossesse ne l’est pas, si bien que tous les professionnels qui travaillent dans une maternité ont déjà été confrontés à la découverte inopinée d’une grossesse chez une femme qui ne se savait pas enceinte. Les histoires en forme de brèves de comptoir n e manquent pas de femmes adressées pour fibrome ou pour kyste de l’ovaire qui se révèlent finalement être enceintes à leur extrême surprise. L’insu peut être partiel, voire fluctuant. Certaines femmes disent, a posteriori, avoir eu des doutes à certains moments de leur grossesse du fait de signes cliniques inhabituels. Puis le lendemain, n’y avoir plus pensé. Cela surprend ceux qui les interrogent, car en temps normal, un tel doute amène la femme à effectuer rapidement un test de grossesse pour en avoir le cœur net. Or, dans le déni, elles n’ont pas cette réaction-là. Le déni est en fait un mécanisme actif d’oubli, comme si la révélation de la grossesse entraînait une souffrance psychique telle que la femme oublie son doute antérieur. Ce mécanisme psychique de déni est plus développé dans certains contextes psychologiques où le comportement est comme orienté de manière inconsciente vers l’attitude du déni. Mauvais choix au demeurant (si tant est qu’on puisse parler ici de choix du psychisme), puisque le réel finit toujours par s’imposer, de manière bien plus brutale bien sûr et sans qu’il soit alors possible d’en éviter les conséquences désastreuses. Pourquoi existe-t-il un déni du déni ? N’importe quel sujet obstétrical, si rare soit-il, qui peut occasionner le décès du fœtus, fait l’objet de publications, d’études scientifiques, de descriptions épidémiologiques. Surtout quand une prévention est possible. Imaginerait-on que personne ne s’intéresse du point de vue scientifique au décollement placentaire ou au HELLP syndrom ? Or, ces pathologies sont plus rares que le déni de grossesse. Le grand public, les professionnels de santé et les magistrats ont tous un premier réflexe quand une femme dit qu’elle ne se savait pas enceinte : « Elle se moque de moi, comment est-ce possible ? ». Cette réaction est bien sûr vue par la femme et ceci la confine dans une position de monstre. « Ce qui m’arrive est inexplicable et de surcroit, personne ne me comprend ». Cette incrédulité généralisée est source d’une recrudescence de la souffrance de ces femmes qui se recroquevillent dans leur coquille et deviennent moins accessibles à la prise en charge psychologique dont elles ont immédiatement besoin. Sans parler de celles qui sont accusées du meurtre de leur nouveau-né, voire d’être des meurtrières en série. Le déni de grossesse est redouté des professionnels pour plusieurs raisons pratiques et psychiques : pratiques, car ils ne savent pas gérer ces femmes dont ils se demandent si elles ne sont pas en train de les abuser ; psychiques également, car le déni de grossesse montre que la maternité aussi est une adoption et que l’instinct maternel n’existe pas. On ne peut pas comprendre autrement la défiance généralisée de toute la société à l’égard du déni de grossesse, la maltraitance des professionnels, les véritables lynchages médiatiques dont font l’objet ces femmes et la manière dont elles sont traitées quand, par malheur, leur enfant est décédé. Cette pathologie psychique montre en outre, dans toute sa splendeur, la puissance de l’inconscient sur nos corps. La paroi abdominale, régulée comme toute la silhouette par le psychisme, ne se déforme pas et cache un fœtus à terme à l’entourage (même quand il voit la femme dénudée). C’est pourquoi le déni de grossesse est contagieux pour l’entourage, qui en général n’y voit goutte. Puis le ventre apparaît en quelques heures, comme par un phénomène de magie, quand on annonce la grossesse à la femme. Si l’inconscient est capable de tels phénomènes, c’est qu’il doit pouvoir influencer le corps bien au-delà de ce qu’on peut admettre quand on est un adepte de la médecine « rationnelle ». Le déni de grossesse ne menace pas toutes les femmes (à l’exception du déni iatrogène : « mais non, vous n’êtes pas enceinte »). Il concerne le plus souvent des femmes qui, qu’elles s’en souviennent ou non, ont vécu des évènements lourds dans la sphère génitale et reproductive. Plus de la moitié des femmes interrogées à l’issue d’un déni disent avoir subi des attouchements sexuels ou des viols (ou des traumatismes psychiques) dans leur enfance, leur adolescence ou même dans leur vie conjugale. Mais souvent, ces réminiscences sont totalement enfouies et censurées inconsciemment. Elles peuvent ressortir (ou pas) dans le travail psychique qu’il faudra organiser en aval. L’impression donnée parfois qu’il s’agit de femmes sans histoire, sans aspérités, fondues dans la masse, est trompeuse. « Elle cherchait ses enfants à l’école, discutait avec les autres mamans et se comportait comme une très bonne mère ». Le traumatisme vécu dans la sphère sexuelle est de nature à faire considérer celle-ci comme salie, comme inexistante, avec souvent un rapport à la sexualité « peu enthousiaste » et plus souvent encore une incapacité à en gérer les conséquences en ayant recours, comme tout le monde, à la contraception. Il y a comme un « scotome de la partie sexuelle de la personnalité » de la femme. Une sorte de psychose localisée : « tout cela n’existe pas, je ne suis pas une vraie femme, cet endroit de mon corps, je ne le ressens pas ». Tous les signes en provenance de la sphère sexuelle sont soit ignorés soit interprétés comme des choses normales, en tous cas explicables autrement que par l’existence d’une grossesse. « J’ai souvent des périodes d’aménorrhée et d’ailleurs mon poids oscille, et je me sens ballonnée, voire constipée ». Tout se passe comme si la foule de symptômes du début de grossesse correspondait à autre chose, à des évènements normaux. « Et d’ailleurs, la grossesse est impossible ». Elle est en fait indicible soit à cause des antécédents, soit du fait des circonstances de sa survenue. Une 6 e grossesse est due à un viol par son ex-mari revenu chercher des chaussettes : la patiente ne se rend compte ni de la grossesse, ni de la survenue du travail ni du début de son accouchement alors même qu’elle avait eu 5 grossesses et accouchements antérieurs. Incompréhensible, vu de l’extérieur. Grossesse inacceptable pour la femme, dont toutes les conséquences du viol étaient indicibles, non formulables. Accouchant sur les toilettes à domicile, la vie de l’enfant est sauvée in extremis par ses frères et sœurs alertés par le fracas sur la porte de leur mère tombée inconsciente après son accouchement très hémorragique. Une minute plus tard, elle se serait retrouvée devant une cour d’assise pour répondre du meurtre d’un enfant dont elle ignorait jusqu’à l’existence même et n’aurait pu faire comprendre à personne (à aucun juré) qu’elle ne se savait pas enceinte. Le moment de la découverte de la grossesse chez une femme en déni est souvent sans rapport avec l’importance de la pathologie psychique. L’expression « déni partiel » ou « déni complet » en fonction de la longueur du déni ne fait que souligner que les dommages sur la relation mère/enfant seront d’autant plus importants que le déni aura été long. La découverte de la grossesse est souvent fortuite, à l’occasion d’un examen médical, ou sur l’insistance d’une amie qui constate des changements corporels. Lorsque la malchance sévit, une femme peut voir le déni recouvrir l’accouchement lui-même, ce qui, dans la solitude et le désarroi psychique total d’un accouchement inattendu, donne des conditions de naissance et de soins au nouveau- né qui peuvent porter atteinte à sa survie. Le déni de grossesse n’est qu’un symptôme. Le découvrir et le nommer ne dit rien sur sa cause et de nombreuses situations psychiques peuvent provoquer un déni de grossesse. Aucune généralisation n’est donc pertinente sur les causes d’un déni de grossesse et seule la femme pourra elle-même, avec l’aide d’un psychiatre ou d’un psycho- logue, débroussailler a posteriori ce qui lui est arrivé. C’est d’ailleurs le seul moyen d’éviter la récurrence du déni de grossesse. Une généralisation est toutefois acceptable : c’est que toutes ces femmes sont en grande souffrance et tentent souvent de ne pas le montrer. Leur faire percevoir qu’on l’a compris et leur tendre la main sont une bonne manière de commencer l’apprivoisement nécessaire pour qu’elles puissent entamer le difficile chemin de la compréhension. La grossesse nerveuse, qu’on ne voit plus très souvent, sauf chez les femmes récemment trans- plantées, constitue un double en miroir du déni. Dans la grossesse nerveuse, il y a une véritable grossesse psychique (avec un florilège de symptômes, y compris le ventre arrondi), mais il n’y a pas de grossesse physique. C’est l’inverse du déni où il y a une grossesse physique mais pas de grossesse psychique. Dans l’espèce humaine, en l’absence de grossesse psychique, il n’y a pas d’enfant. Tout au plus une tumeur qui pousse à l’insu de la femme. Il ne suffit donc pas d’être enceinte pour attendre un enfant. Il faut en plus avoir nommé cet évènement et l’avoir qualifié. Mauvais évènement, on va vers l’IVG. Bon évènement, on va vers l’accouchement

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