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Dépistage du cancer du col utérin : un tournant ?
Joseph MONSONÉGO, Institut du col, Paris

L’évaluation des programmes pilotes de dépistage du cancer du col utérin (CCU) dans 13 départements durant 3 ans ouvre la voie à l’organisation généralisée de ce dépistage en France. Partant du constat qu’environ 40 % des femmes n’ont pas réalisé de frottis dans les 3 ans, encore plus dans les milieux défavorisés, le plan cancer 2014-2019 avait recommandé la mise en place d’un programme national de dépistage basé sur le frottis en 2018 afin de booster la participation, facteur important d’un dépistage efficace(1).
Ainsi, l’analyse de ce travail permet de conclure que : le taux de couverture global est amélioré de 12 points pour atteindre 62 % de la population cible ; moins de 2 % des frottis sont jugés satisfaisants ; les chiffres de frottis anormaux enregistrés sont conformes aux standards admis, soit 4,2 % de frottis anormaux (ASCUS : 2,3 % ; LSIL : 1,2 % ; H.SIL : 0,15 % ; ASCH : 0,28 %) ; l’évaluation médico-économique souligne l’intérêt du test HPV et de l’autoprélèvement dans le dépistage. Cependant, ces résultats encourageants ne doivent pas occulter les questions auxquelles le travail ne répond pas, en particulier une importante hétérogénéité en termes de couverture, de qualité des frottis et de suivi d’un département à l’autre. Les procédures d’harmonisation pour améliorer la participation, la couverture des femmes de plus de 50 ans et celle des milieux défavorisés ne sont pas abordées ; de même qu’aucune information n’est disponible sur la performance de ce dépistage cytologique, en particulier sur le nombre de cancers observés dans l’intervalle de 3 ans. Le but du dépistage est de détecter les précancers dont le traitement évite le passage au cancer. La couverture et la sensibilité du test sont des éléments clés pour atteindre l’objectif. La France envisage, à juste titre, d’organiser le dépistage du CCU ; cependant, si tous les efforts sont déployés pour améliorer la participation, aucune initiative n’est prise pour améliorer la performance du dépistage. État des lieux en France Le dépistage est basé sur le frottis (le frottis liquide occupe une place importante comparé à la cytologie sur lame), méthode qui est restée inchangée depuis 60 ans. On estime à 3 000 le nombre de nouveaux cas de cancers invasifs du col de l’utérus et à 1 000 les décès chaque année ; 17,5 millions de femmes de 25 à 65 ans sont concernées par ce dépistage, et plus de 6 millions de frottis cervicoutérin (FCU) sont réalisés chaque année (2). La couverture est sous-optimale car plus de 50 % des femmes ne sont pas dépistées ou trop peu, et environ 40 % des femmes le sont trop fréquemment. Seulement 10 % des femmes bénéficient d’un dépistage dans l’intervalle recommandé (2). Alors qu’une diminution significative de l’incidence et de la mortalité par CCU a été observée dès les années 1950, depuis une vingtaine d’années, on note des chiffres en plateau sans réelle amélioration (3). Le dépistage est réalisé à l’échelon individuel ; les programmes pilotes indiquent une augmentation de la participation, mais une extrême hétérogénéité d’un département à l’autre en termes de couverture et de qualité des frottis, sans aucune analyse de performance (1,4). Partout où le dépistage cytologique est bien établi, l’analyse de l’histoire cytologique des cas de CCU indique que 60 % sont observés en l’absence de dépistage ou à un intervalle au-delà de 3 ans, mais 30 % des cancers sont constatés chez des femmes ayant des frottis réguliers dans l’intervalle des 3 ans étiquetés « normaux » (5), ce qui souligne le manque de sensibilité et l’imperfection déjà bien établie du frottis (6). Chez les femmes qui ont bénéficié de la vaccination HPV, le frottis de dépistage est encore moins performant que chez les non-vaccinées (7). Sa généralisation compromettra encore davantage le dépistage conventionnel. Test HPV et dépistage du CCU Envisager un programme national de dépistage en ne se focalisant que sur la participation sans y inclure l’amélioration de l’outil est une erreur stratégique qui va à l’encontre des preuves scientifiques accumulées depuis 20 ans et des études randomisées disponibles, comme en témoignent les décisions prises dans ce sens dans les pays disposant de programmes organisés ou non, en Europe (Hollande, Italie, Suède, Angleterre, Allemagne) et ailleurs (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Mexique) pour introduire le test HPV dans le dépistage primaire (8). Forces du test HPV dans le dépistage du CCU Les arguments reposent sur de nombreuses études randomisées : le test HPV augmente la sensibilité de détection des CIN HG de 30 % comparé au frottis (9) ; le test HPV détecte plus précocement les CIN3+ que la cytologie (10) ; un seul test HPV négatif assure une meilleure protection à long terme que ne le fait la cytologie ; sur 3 et 5 ans, un seul test HPV négatif garantit l’absence de CIN3+, 4 fois plus que la seule cytologie négative (0,25 vs 1/10 000 dans l’étude européenne de Dillner et coll.) (11). Cette approche permet d’envisager un espacement du dépistage en toute sécurité tous les 3 à 5 ans, voire plus, ce que la cytologie ne garantit pas (12) ; un seul test HPV, grâce à la détection accrue des précancers, assure une protection supérieure de 65 % contre le cancer du col comparé au seul frottis sur une période de 6 à 8 ans (13) ; dans les pays où le dépistage par frottis est bien organisé, le test HPV apporte une protection significativement plus importante (de 60 %) que la cytologie contre le CCU, dans l’étude randomisée de Ronco et coll. (14). L’avantage majeur du dépistage HPV est qu’il permet de bâtir une stratégie basée sur le risque, ce que le frottis ne permet pas, en s’appuyant sur 2 réalités : après 30 ans, seuls 10 à 12 % de la population est HPV+, ce qui permet de concentrer les efforts de dépistage sur celle-ci ; de libérer 90 % de celle-ci d’un dépistage rapproché, permettant ainsi un intervalle espacé à 3- 5 ans en toute sécurité, ce que le seul frottis ne garantit pas. Faiblesses du test HPV en dépistage primaire Cependant, détecter l’HPV ne signifie pas qu’il existe une lésion. Sur les 15 HPV HR, seuls 5 ont un risque marqué d’induire une CIN3+, les autres peuvent être en portage éphémère ou transitoire sans réel risque d’induire une lésion précancéreuse ou cancéreuse. Le risque est donc d’induire des sur-diagnostics, des sur-traitements et une inquiétude inutile. Cependant, 2 à 6 % des femmes ayant un frottis normal et un HPV+ ont une CIN3+ sous-jacente dont l’alerte n’a pas été faite par le frottis (15). Il est donc nécessaire d’améliorer la spécificité du dépistage HPV afin d’identifier, parmi les femmes HPV+, celles qui présentent une forte probabilité d’avoir des lésions précancéreuses sous-jacentes. Stratégies pour améliorer le dépistage du CCU Chaque stratégie de dépistage doit peser les avantages et les inconvénients potentiels de l’intervention. L’objectif du dépistage du CCU est la prévention par la recherche et le traitement des lésions précancéreuses. La cytologie est bien établie, mais l’outil demeure imparfait ; ainsi un tiers des cancers du col sont observés chez des femmes ayant eu un frottis de dépistage dans l’intervalle recommandé de 3 ans. Par ailleurs, il n’est actuellement pas possible de distinguer les précancers vrais des lésions morphologiquement similaires qui ne progresseraient pas vers le cancer (16). De nombreuses CIN2 régressent spontanément (17), et seulement un sous-ensemble de CIN3 progressera vers un cancer (18). Ainsi, les programmes de dépistage actuels acceptent beaucoup de sur-traitement pour atteindre une sécurité élevée. Entre des mains peu expérimentées, les dommages associés aux traitements par excision impliquent parfois des complications obstétricales (19). Aujourd’hui, trois approches de dépistage du cancer du col de l’utérus ont été recommandées par les comités d’experts ou approuvées par les autorités de santé dans un certain nombre de pays : le dépistage cytologique est toujours l’approche la plus utilisée, c’est le cas en France où aucune nouvelle recommandation sur ce dépistage n’est proposée depuis des décennies ; les co-tests HPV-cytologie pour le dépistage primaire ont été recommandés aux États-Unis, mais ne sont pas pris en compte ailleurs ; les algorithmes sont adoptés ou proposés dans différents contextes selon la modalité de dépistage, l’âge de début, l’intervalle de dépistage et la stratégie de sortie. Une analyse rétrospective récente à partir d’une base de données de laboratoires de diagnostic suggère que le dépistage HPV pourrait ne pas détecter davantage de cancers du col de l’utérus que la cytologie (20). Cependant, les limites de l’étude ont été soulignées ; on indique des estimations biaisées de la sensibilité pour les tests HPV et la cytologie (21). Des essais randomisés à grande échelle ont démontré que le dépistage du HPV est plus efficace (+ 30 %) pour détecter le CIN3 au cours du premier cycle de dépistage comparativement à la cytologie. Dans une analyse groupée de 4 essais randomisés menés en Europe, le test HPV a fourni une plus grande protection contre le cancer invasif du col utérin comparativement à la cytologie. Le risque de cancer 3 ans après un test HPV négatif était d’environ 70 % inférieur comparé à une cytologie négative (14). De plus, une grande étude observationnelle aux États-Unis a démontré que la détection supplémentaire des lésions de CIN3+ quand la cytologie est ajoutée au test de HPV est minime comparée à l’option d’effectuer un frottis seulement dans la situation de triage des HPV positifs. Toutes les stratégies de dépistage primaire nécessitent un triage supplémentaire des femmes dépistées positives. Dans le dépistage cytologique, le triage est depuis longtemps recommandé pour les femmes présentant un ASCUS, en utilisant soit la cytologie répétée, soit le test HPV (22). Lors d’un co-test cytologie et HPV, des tests répétés ou un triage sont recommandés pour les femmes HPV positives ayant une cytologie normale. Dans le dépistage primaire HPV, proposé après 30 ans, toutes les femmes positives nécessitent un triage. Il est plus efficace d’effectuer un test de triage à partir de l’échantillon de dépistage primaire (triage réflexe), plutôt que d’inviter les femmes à revenir pour un nouveau prélèvement. Cytologie de triage des HPV+ Tous les programmes de dépistage HPV, suggérés ou approuvés, utilisent la cytologie pour le triage. En raison de l’augmentation du risque de précancer chez les femmes HPV positives, et parce que cette
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